(20) – Voyage dans le froid (1)

Pour l’étape précédente, cliquer ici: Roupiller & Ripailles en Russie (3)

19-1Une vieille femme emmitouflée dans de tristes vêtements est occupée à casser la glace qui recouvre une rue: ici, c’est déjà l’hiver. Elle fait peine à voir… Cette image de la Russie ancienne contraste cruellement avec la société de consommation qui nous entoure de façon frénétique. Des milliers de grosses voitures luxueuses et des publicités qui montrent une autre image de la femme russe: jeune, à la mode, belle, sexy…

 

 

Nous sortons de Vladivostok. Pour “La Petite” cette sortie est l’entrée dans une grande aventure: 11 000 km de Russie en plein hiver! En 1908, ils étaient quatre à être arrivés ici, mais ils n’étaient plus que trois à prendre la route comme nous. L’usine De Dion-Bouton avait retiré sa voiture de la course et l’avait vendue à un riche Chinois à Pékin…

19-2Au bout de quelques kilomètres, nous nous faisons arrêter par la DPS, la redoutable et redoutée police de la route. Si je n’avais pas déjà traversé la Russie en 2007, j’aurais probablement été très impressionné par ces policiers aux allures sévères, qui arrêtent “La Petite” en pointant leur matraque zébrée sur elle. Je garde le sourire: je sais désormais qu’ils sont juste curieux et veulent voir “La Petite” de près! Ce ne sera certes pas la dernière fois…

On entre dans le domaine des grandes distances. Pour le moment, la route est excellente, hormis quelques chantiers que nous devons traverser à petite vitesse. C’est dans ces parages qu’en 1908 s’est déroulée une des scènes héroïques de la Grande Course. La Protos s’étant embourbée, les Américains eurent quasiment course gagnée. Mais ils s’arrêtèrent, et tirèrent les Allemands de là. Je me dis que – même si les routes se sont améliorées – voyager en Russie en hiver et éviter ainsi la gadoue n’est peut-être pas une si mauvaise idée que cela!

 

Zakousotchnaya

1357Quand on charge la voiture, le thermomètre indique -12°C. Pourtant, elle n’a aucun mal à démarrer. On prend la route dans un paysage glacial, avec du givre qui recouvre les arbres de cristaux féériques. La pleine lune accentue l’impression de froid. Comme nous n’avons pas encore déjeuné, nous nous arrêtons dans une zakousotchnaya, petit restoroute à l’ancienne. On mange copieusement, car il faut faire face au froid! Thierry engage la conversation avec un routier à la table voisine, qui sourit avec une incisive en or. Contrairement à ce que nous ont dit certains (qui ne pratiquent pas la route) celui-ci nous assure que nous ne devrions pas rencontrer de problèmes majeurs d’ici jusqu’à Irkoutsk. «Et de toute façon, ajoute-t-il encore, tout le monde vous aidera.»

 

Amour

Lorsqu’on se réveille, on a, depuis notre chambre, une vue sur l’Amour. Et sur la neige, qui tombe drue, en tout petits flocons. Thierry, mon septième copilote, qui connaît déjà Khabarovsk, où il est venu pour son travail il y a quinze ans, ne reconnaît presque plus l’endroit: «Cette église n’existait pas encore!» s’exclame-t-il, avant d’entamer la longue descente vers l’Amour.

20101125-3Le fleuve est une immense plaine faite de blocs de glace. Près du bord, ils sont immobiles, mais plus loin, ils sont en mouvement permanent, charriés par les eaux du fleuve, invisibles. Il souffle un vent glacial. La plage, qui grouille de baigneurs en été, est déserte. Sur le boulevard, point d’enfants qui jouent, pas de couples enlacés, pas de marchands de glace, pas de filles en bikini. Une femme solitaire passe, noire comme un corbeau, bien emmitouflée dans ses fourrures. Le froid nous chasse. Temps de retrouver “La Petite”, recouverte de poudreuse, pour continuer le voyage. Traversée de l’Amour sur un pont de plusieurs kilomètres de long. (Notez, au passage, que j’ai écrit successivement: «vue sur l’Amour», «descente vers l’Amour», «traversée de l’Amour»…) Notre route, qui depuis Vladivostok menait essentiellement vers le nord, va vers l’ouest désormais, direction l’Europe. Mais elle est encore loin. Pour le moment, nous devons faire face au vent et à la neige sur la M58, l’autoroute de l’Amour.

 

Givre

06633-PanoramaNous faisons le plein, nos ventres restent vides, et nous voilà à nouveau sur la très longue route. Pas de maisons, pas de villages, juste notre ruban asphalté et les bouleaux. Et le froid! Avec le chauffage Sofica en marche, la température dans la cabine monte péniblement de moins dix-neuf à moins dix, on atteint, au bout d’une heure, le zéro, et si on ne sort pas pour faire une photo, la température peut même atteindre les 10°C maximum. Mais pas les vitres, qui sont en contact direct avec l’air sibérien. La vapeur d’eau de nos deux respirations s’y dépose sous forme de givre. Nous sommes obligés, en permanence, de gratter, de frotter avec une serviette-éponge, de dégivrer avec le petit sèche-cheveux 12V. Il est encore tôt quand nous quittons Magdagatchi. Nous sommes déjà sur la grande route quand un magnifique soleil rouge se lève dans notre dos. À cause du froid, les vitres commencent aussitôt à se givrer. C’est une bataille permanente pour avoir un minimum de visibilité. Et pour garder les pieds chauds. Au bout de 80 kilomètres, une station essence et deux “kafé”. Nous mangeons ce qui sera notre brunch: potage, choux farcis, poivron farci. Ce n’est pas particulièrement bon, mais c’est gras et ça nourrit – on a besoin de calories!

 

Les seins de glace

1796L’étape du jour sera courte, mais nous avons une petite chambre moderne à bon prix, et un restaurant en bas. Il nous faudra partir très tôt demain matin, car la prochaine étape, Mogotcha, est à 450 km environ, et entre ici et là, il n’y a virtuellement rien. Sur le parking à côté de l’hôtel se trouve un blindé. Il n’est pas militaire et porte une plaque d’immatriculation normale. Quelqu’un a dû l’acheter au surplus de l’armée soviétique pour avoir un véhicule permettant d’aller n’importe où dans la taïga environnante… Comme c’est un jouet d’homme, le propriétaire a collé une page de “Playboy” sur le flanc du monstre. La photo montre une fille nue portant deux seaux. Ses cuisses disparaissent dans la poudreuse qui s’est déposée sur le scotch qui tient la photo en place. Elle va avoir froid, la nana: à l’hôtel, on nous a annoncé du moins trente pour la nuit! Grattage permanent garanti pour demain. Espérons que ce sera notre seul problème…

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