(12) – Chasseurs et aurores boréales

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Nous quittons Beaver Creek, dernière localité canadienne, sous un soleil radieux. Une fois de plus, la route passe par la toundra, appelée ici muskeg. Au-dessus du permafrost s’établissent, l’été, de petits étangs et des marécages. Les épicéas qui penchent de tous les côtés sont appelés localement “arbres ivres”.

Au bout d’une vingtaine de kilomètres, nous arrivons à la frontière de l’Alaska. Les formalités douanières se résument à un strict minimum: contrôle des passeports. Ni “La Petite”, ni son contenu, ne font l’objet d’un quelconque contrôle. Ce ne sera pas aussi simple pour le Japon et la Russie!

 

20100918-7646Chasseurs.  Tok, première petite ville d’Alaska. Ici, les hommes sont des Hommes, avec un grand H. Ils bravent le froid, manches retroussées ou en simple T-shirt. Les bras sont musclés, les cous tannés. Je rencontre l’un de ces vaillants chasseurs, sosie d’Ernest Hemingway. Dans l’armée, lors de la guerre du Vietnam, il était instructeur de survie en milieu hostile: jungle, désert, grand nord… le genre de type avec lequel on partirait tranquille n’importe où! Il saura comment faire du feu avec du bois mouillé, comment attraper un serpent ,le manger cru ! Ses yeux s’enflamment lorsqu’il me raconte son premier “moose” (élan), tiré quand il avait une vingtaine d’années. Je veux faire son portrait, il va chercher son fusil à lunettes, affirmant, si besoin est: «Je suis chasseur.»

7973On voit beaucoup de couleurs militaires. On se déplace en 4×4 ou en quad, certains munis de chenilles, des étuis à fusils attachés de chaque côté. On croit leurs occupants prêts à partir en guérilla. Des pick-up passent dans la rue, les bois énormes d’élans fraîchement tués dépassant de la benne. Deux frères me parlent de grizzlys rencontrés, de loups attaquant un jeune élan, par la truffe d’abord, puis lui arrachant la joue avant de s’attaquer à la gorge… L’un des frères me sort son petit appareil numérique et me montre une photo. Un élan mâle, abattu par une femme qui pose fièrement, fusil à la main, derrière la tête gigantesque. «C’est maman. Elle a 72 ans. Elle l’a eu d’un seul coup. Une bête de 900 livres!» Oui, ici même les femmes sont des Hommes! Le soir, au restaurant, ambiance animée au milieu de tous ces durs à cuire. Je commande un bon steak. De vache! Il n’y a pas de “moose” au menu…

 

7857Oléoduc.  Nous faisons une halte dans une auberge à Paxson. Le patron est corpulent. Il a du mal à marcher. Il vient prendre notre commande. Je commence: «Un thé pour madame, un chocolat chaud pour moi, et à manger…» Il m’interrompt: «Je vais d’abord préparer les boissons!» À une table voisine , un homme (il n’y a que deux hommes en dehors de nous) – sosie de Jean Gabin – commente de derrière ses œufs brouillés: «Laisse-moi finir un job d’abord. Après je peux commencer le suivant!» Le restaurateur débonnaire est dépassé par la nombreuse clientèle de quatre personnes!

 

 

7888Notre route suit le “Trans Alaska Pipeline”, reliant les champs pétrolifères de Prudhoe Bay, sur l’océan Arctique, au terminal pétrolier de Valdez. Un ouvrage absolument incroyable, long de 1400 kilomètres, construit de façon à ce que le pétrole brut ne gèle pas par -60°C, sans pour autant dégeler le permafrost – une gageure d’ingénieurs!

 

7875En route pour le cercle polaire.  Beaucoup m’ont averti des dangers de la “Dalton Highway”: mauvaise piste caillouteuse, gros camions, poussière, cailloux volants brisant les pare-brise, froid intense, pannes d’essence, crevaisons multiples… Avec suffisamment de vivres à bord pour tenir le coup pendant une semaine, nous voilà partis pour le Grand Nord: Le Vrai.

 

 

 

7928Un panneau attire notre attention, annonçant une localité, avec, comme souvent aux États-Unis, le nombre d’habitants. La “ville” d’Olnes bat tous les records, avec… 1 seul habitant!

 

 

 

 

7990La redoutable “Dalton Highway” s’avère ne pas être si terrible que ça. C’est même une très bonne piste. Les camions soulèvent des volutes de poussière, mais ralentissent à notre approche et aucun des cailloux volants annoncés ne vient fracasser notre pare-brise. Au Nord du Yukon, le paysage change, il y a de moins en moins d’arbres. Un lynx traverse la route. Le vent souffle fort, on a déjà du mal à résister au froid qui pénètre nos vêtements. Qu’est ce que ça doit être en hiver!

 

2192Des rubans dans le ciel.  En début de soirée, nous atteignons 66°33′, le Cercle Polaire! Un kilomètre au Nord, nous dressons notre tente dans un bois de bouleaux et allumons un feu de camp. Nous n’y dînons pas, pour éviter que les odeurs de nourriture attirent les ours la nuit, un danger potentiel dans ces contrées. L’été dernier, des ours ont déchiqueté deux touristes sous leur tente, près du fleuve Yukon, et la même chose est arrivée à Yellowstone…

8009Notre feu s’éteint, et dans le froid devenant intense, une pleine lune se lève derrière les arbres. Il est temps d’aller se coucher, tout habillés, dans nos sacs de couchage, sous la petite tente qui coupe bien le vent glacial. On se souhaite “bonne nuit”.

 

 

La journée commence très tôt: peu après minuit, Anne-Marie me réveille, de l’excitation dans la voix: «Vite! Viens voir!» Ça y est! On a la visite d’un grizzly? Je chausse mes lunettes, qui s’embuent aussitôt, et c’est à moitié aveugle et en chaussettes que je me retrouve dehors, la hache à la main, prêt à faire face à l’animal, s’il attaque. Anne-Marie pointe vers le ciel. Un spectacle grandiose se présente au-dessus de notre campement, que l’on espérait un peu, sans trop y croire: des aurores boréales! Des rubans de lumière verte se déroulent dans le ciel, changeant de place lentement, devenant parfois plus intenses, puis disparaissant totalement, avant de recommencer ailleurs dans le ciel, sous une forme différente. Tout cela devant un beau ciel étoilé – la Grande Ourse est parfaitement visible à travers les aurores. On se recouche, transi de froid: la température est descendue à -8°C.

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8396Haute montagne.  Dans le Parc Denali, il y a les plus hautes montagnes d’Amérique du Nord, dont le Mont McKinley, qui culmine à 6194 mètres! En langue Indienne locale Athabaskan, ce pic s’appelle justement Denali, signifiant “Le Haut”. Il y a peu de visiteurs dans le parc à ce moment de l’année. Toute l’activité touristique s’est déjà arrêtée. On dirait que toute la population de l’Alaska entre en hibernation, et cela ne s’applique pas exclusivement aux écureuils et aux ours. Tiens, justement: deux voitures sont arrêtées sur le bord de la route: il y a quelque chose à voir !

8492Juste en contrebas, un énorme grizzly débonnaire est en train de se gaver de baies. Il progresse lentement, ne se souciant pas du tout de notre présence. Voici enfin cet animal si redouté ! Son pelage, aux reflets dorés, bouge au vent, son épaule musclée est bien proéminente. Ses pattes sont puissantes, son profil est creux: caractéristiques qui permettent de le distinguer des ours noirs que nous avons déjà vus à plusieurs reprises.

 

8531Il est temps de descendre vers le monde dit “civilisé”… Au village de Denali, nous cherchons en vain une place pour la nuit: tout est déjà fermé: la saison touristique est terminée, il n’y a plus âme qui vive, sauf… Sur le parking d’un motel, Anne-Marie aperçoit un élan juvénile en train de faire un carnage dans les bacs à fleurs! Il ne se laisse pas trop impressionner par notre présence: il se régale d’un dîner de capucines. Rencontre insolite et un peu surréaliste entre un jeune élan et une “Petite” dans un village de vacances fantôme…

Dans deux jours, nous serons à Anchorage. Notre dernière ville d’Amérique après plus de 16 000 km de route. Étape suivante : le Japon.

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