(3) – La Route

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Après le doute, la route… Car ça roule! Hier soir, on a franchi le premier 1000 kilomètres, à Dunkirk, dans l’état de New York. À regarder la carte, on se croirait d’ailleurs en Europe. Car il n’y a pas que Dunkirk. J’ai relevé: Rome, Amsterdam, Rotterdam, Potsdam, Geneva, Syracuse, Ithaca, Athens, Warsaw, Waterloo, Manheim, Hamburg… Dieu, que les premiers colons ont dû avoir le mal du pays!

20100711-9778Un début chaotique. Je suis debout tôt le mercredi matin. Lorsque je veux prendre une note, en cherchant mon stylo, je me rends compte que mon sac à dos n’est pas dans la chambre! Mon cœur se glace: j’ai dû l’oublier sur la terrasse du restaurant où nous avons dîné hier soir! Ce sac, c’est: mon passeport avec ses visas, mon argent, mes cartes de crédit, deux appareils photo… À sept heures du matin, je cours vers le restaurant. Il est fermé, et pas de sac en vue… Ça n’ouvre qu’à midi. La panique s’installe. Retour à la chambre. À 9h je repasse au restaurant. Un Péruvien qui nettoie la salle me fait entrer. J’explique mon cas. Il plonge sous le comptoir: «¿Este bolso?» «¡Si, grácias!» Ouf!

“La Petite” avait atterri à JFK le lundi matin. Mardi, après maints coups de téléphone, l’agent de transport m’annonce que les formalités douanières sont derrière nous.

– Vous pouvez venir chercher la voiture bientôt.

– Bientôt?

– Oui, car la USDA veut encore vérifier s’il n’y a pas des êtres nuisibles accrochés à vos pneus.

Je reste bouche bée. Le lendemain matin, Dennis (on s’appelle déjà par nos prénoms) me dit de venir le voir en début d’après-midi. Je plaisante:

– Ça y est? Ils n’ont pas trouvé l’arme bactériologique?

– À vrai dire, ils n’ont pas encore vérifié…

– Et vous êtes sûr que je peux venir la chercher?

– Je mettrai la pression; je les connais, ces gars. Vous l’aurez aujourd’hui, peut-être pas avant ce soir, mais vous l’aurez.

Avec Anna, l’étudiante en biologie qui m’accompagne de New York aux Rockies, on prend le train… L’agent m’a dit qu’il viendrait nous chercher à la gare.

 

Rencontres cocasses. Nous descendons à Valley Stream. En attendant Dennis, nous assistons à une scène digne d’un vaudeville. Un taxi, un de ces énormes navires américains de la route, s’arrête devant nous. Un noir en descend. Il est grand et gros, comme beaucoup d’Américains. On a déjà eu l’occasion, dans les restaurants de New York, de nous étonner non seulement de la qualité de la nourriture, mais surtout de la quantité. L’Américain moyen semble capable d’engloutir des portions pantagruéliques. A-t-il un estomac différent du nôtre? Sa femme, du même gabarit, vient de payer la course. Sept dollars cinquante, on l’a entendu de loin, tellement les négociations ont été menées à vive voix. Quand elle descend du taxi, la limousine se relève de plusieurs centimètres, sa suspension soudain soulagée. Le couple s’éloigne, le dos penché en arrière, avec cette dégaine propre aux personnes dont les jambes ont du mal à transporter les kilos. Mais soudain la femme se retourne et revient vers le chauffeur de taxi, qui est encore en train de ranger ses sept dollars cinquante.

– Tu peux aller chercher mon neveu à l’école?

– Quelle école?

Elle donne un nom que je ne capte pas.

– Et comment je vais savoir qui est ton neveu?

– Il s’appelle Ron.

– Ce n’est quand même pas écrit sur son front! Il est habillé comment?

– Je ne sais pas.

– Formidable! Tu me demandes d’aller chercher un gamin à la sortie d’une école sans que je sache à quoi il ressemble? Trouve-toi un autre pigeon!

– Attends!

Elle sort son portable et compose un numéro. Elle relève la tête et lance au chauffeur:

– Il porte un T-shirt bleu avec un grand 9 blanc dessus! Il a quinze ans.

Le chauffeur marmonne quelque chose d’inaudible, se fait payer la course en avance, et le taxi glisse hors de notre vue.

Au même moment, une autre voiture s’arrête, dont le chauffeur nous fait signe. C’est Dennis Klainberg. Nous montons dans la voiture: Klainberg & Weinberg, on aurait là les ingrédients pour un duo comique dans un cabaret yiddish!

Le bureau de Dennis est un véritable Capharnaüm, où se trouvent pêle-mêle papiers de douane et factures, fax et ordinateurs, téléphones et agrafeuses, un livre et un portrait miniature du “Rebbe” Menachem M. Schneerson, des images de grosses motos et un sac avec des clubs de golf, des photos de musiciens de jazz et une poupée représentant Louis Armstrong, que Dennis actionne: le tout s’anime et la musique de “What a wonderful world” envahit le bureau…

Dennis, en mouvement permanent et parlant sans cesse, me déleste de 335 dollars pour ses services, et nous confie à un de ses employés, un noir costaud à la barbiche blanche, qui doit chercher une moto qui vient d’arriver à l’aéroport. Il conduit son énorme camion comme une voiture de Formule 1.

20100714-0601AnnaLuijten“La Petite”, enfin!  On arrive sain et sauf dans le hangar où devrait se trouver “La Petite”. J’ai la gorge sèche et le ventre noué. Je donne ma liasse de papiers à la fille derrière le comptoir, une noire qui a son nom tatoué en grandes lettres gothiques sur son bras. Puis j’attends, le cœur battant… On nous expédie avec une nouvelle liasse de papiers dans le hangar. Après une attente qui me semble éternelle, voilà enfin la palette avec “La Petite” qui apparaît, sur roulettes. Un miracle!

Nous sortons du hangar, nous quittons l’aéroport, voilà “La Petite” qui foule le sol américain pour la première fois! On fait le plein, on programme le GPS, direction Manhattan. On s’habitue à la circulation dense (c’est l’heure de pointe!), aux grosses voitures, aux voies enchevêtrées… On couvre cinq kilomètres, sept, neuf… Soudain, dans un bruit métallique, deux objets ronds dégringolent devant mon pare-brise et tombent sur la chaussée. C’est l’un des pieds de la galerie! Je bifurque à droite pour me garer dans une petite allée, Anna, qui a tout compris au quart de tour, est déjà dehors et court sur le trottoir pour récupérer les deux pièces… Entre temps, je mesure les dégâts, minimes. Pourquoi je n’avais pas réalisé plus tôt que la galerie avait été fixée trop en avant, et n’avait pas été assez serrée?

Anna revient avec les deux pièces, une rondelle en caoutchouc et un godet métallique, complètement plié par une voiture qui a dû passer dessus. Je sors les outils, redresse tant bien que mal le métal avec deux pinces et une hache, et remonte le tout.

Je suis en nage. On reprend la route. La chaussée est parfois défoncée, avec des trous et des bosses gigantesques dans le macadam. Je n’avais plus vu ça depuis la Sibérie… Et pourtant, on est à New York ici!

On atteint enfin Manhattan. On traverse les avenues d’Est en Ouest. On arrive à Central Park. La nuit commence à tomber sous un beau ciel menaçant. La circulation est dense, les taxis jaunes sont omniprésents. Les gens regardent, ébahis, “La Petite” naviguer dans cette cohue. On montre du doit, on s’exclame, aux feux rouges on nous prend en photo. Le charme de “La Petite” agit une fois de plus!

1-PetiteManhattanNous arrivons à Columbus Circle, avec son globe terrestre en acier, qui n’est pourtant pas sans me rappeler cet autre rond-point, avec son grand globe terrestre en béton peint, à Krasnoyarsk, il y a presque trois ans, et qui avait déclenché chez moi le rêve de faire le Tour du Monde.

 

2-PetiteBronxEn route. Nous y sommes maintenant. Finis les préliminaires! Le voyage a commencé! De Central Park, notre route passe par le North West Side, puis le Bronx, avec une superbe fresque murale, qui confirme qu’on est bel et bien en Amérique!

Nous n’avons pas suivi la même route vers le nord que les concurrents de 1908. On a provisoirement quitté l’état de New York pour nous rendre à Fairfield, Connecticut. J’ai fait ce détour pour aller saluer deux nièces de Naraa, qui y vivent avec leurs familles. Naraa avait été mon guide en Mongolie. J’avais fait la dernière étape du Paris-Gobi en sa compagnie. L’idée de commencer ce nouveau voyage en passant par des membres de sa famille m’a plutôt séduit. La route est chaude et parsemée de centaines et de centaines de feux rouges. En arrivant à Fairfield, on n’a parcouru que 75 kilomètres depuis le départ de Central Park. C’est à peu près la même distance que celle parcourue par Auguste Pons et ses coéquipiers en 1908, à bord de la Sizaire-Naudin, avant d’être contraints à l’abandon… Pauvre Pons: il avait déjà été le premier (et seul) à abandonner la course Pékin-Paris un an auparavant. Quant à la Sizaire-Naudin, c’était la plus petite voiture de la course, et elle était française. Est-ce que notre “Petite” aura plus de chance?

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