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Samedi 15 mars 2025 / Saturday 15 March 2025
Après le petit-déjeuner, nous débarquons sur une plage déserte de l’île de Taravai. Vue sur Akamaru au fond et Agakauitai à droite. / After breakfast, we disembark on a deserted beach on Taravai Island. Views of Akamaru in the background and Agakauitai to the right.
Le petit explorateur Christopher part à la conquête de Taravai. / Little explorer Christopher sets out to conquer Taravai.
La plage de sable est bordée de pierres basaltiques, révélant la nature volcanique de l’archipel. / The sandy beach is lined with basalt stones, revealing the volcanic nature of the archipelago.
La plage est truffée de centaines de terriers de crabes-fantôme. / The beach is dotted with hundreds of ghost crab burrows.
La plupart se sont cachés à notre approche. Mais il y en a un, trop occupé à dévorer une guêpe, qui se fiche du photographe et me laisse l’approcher… / Most of them hid as we approached. But one, too busy devouring a wasp, ignored the photographer and let me approach him…
L’hibiscus des plages (Talipariti tiliaceum) possède des fleurs jaunes qui virent à l’orange en se fanant. Les fruits ressemblent à des petites pommes. / The beach hibiscus (Talipariti tiliaceum) has yellow flowers that turn orange as they fade. The fruits resemble small apples.
L’Ipomée pied-de-chèvre (Ipomoea pes-caprae) est une liane qui rampe sur le sable et produit des fleurs mauves. / Beach morning glory (Ipomoea pes-caprae) is a vine that creeps on sand and produces mauve flowers.
Après cette excursion terrestre, Jurriaan et moi partons à la découverte du récif. La visibilité est toujours aussi médiocre (environ 5 à 7 mètres), mais cette fois-ci je me suis équipé de mon boîtier sous-marin équipé d’un objectif grand-angle, ce qui me permet de faire de la photo en de bonnes conditions. Le récif frangeant se trouve entre la surface et environ 1m50 de profondeur. Au-delà, plus de coraux. Nous décidons donc de ne pas plonger en bouteille, ce qui me permet de renouer avec les joies de l’aplée ! Beaucoup d’acropores ramifiés montrent des signes de blanchissement… / After this land excursion, Jurriaan and I set off to explore the reef. Visibility is still poor (around 5 to 7 meters), but this time I’ve taken my underwater housing with a wide-angle lens, which allows me to take photos in good conditions. The fringing reef is located between the surface and around 1.5 meters deep. Beyond that, there are no more corals. We therefore decide not to scuba dive, which allows me to rediscover the joys of freediving! Many of the branched acropora are showing signs of bleaching…
D’autres, en revanche, semblent en bonne santé. / Others, on the other hand, appear to be in good health.
Acropores et porites (peut-être…). / Acropora and Porites (maybe…)
Coraux-champignon (Famille Fungiidae), consistant d’un seul polype géant. / Mushroom corals (Family Fungiidae), consisting of a single giant polyp.
Les coraux ramifiés peuvent servir d’abri à des petits poissons comme les demoiselles bleu-vert (Chromis viridis) et les demoiselles à trois bandes noires (Dascyllus aruanus). / Branching corals can provide shelter for small fish such as blue-green damselfish (Chromis viridis) and three-banded damselfish (Dascyllus aruanus).
Cet acropore abrite également des demoiselles à trois bandes noires (Dascyllus aruanus) et des sergeants-major (Abudefduf sexfasciatus) juvéniles. / This acropora also shelters juvenile three-banded damselflies (Dascyllus aruanus) and sergeant-majors (Abudefduf sexfasciatus).
Il y a pas mal de poissons, mais la plupart ne se laissent pas approcher facilement. Cette photo d’un poisson-perroquet capitaine (Chlorurus enneacanthus) est un coup de chance (et une longue apnée…) ! / There are quite a few fish, but most of them aren’t easy to approach. This photo of a captain parrotfish (Chlorurus enneacanthus) is a stroke of luck (and a long breath-hold…)!
Le temps a été très changeant toute la journée : soleil, ciel couvert, pluie… Mais cela se termine en un feu d’artifice vertigineux, tout en sirotant notre apéro ! / The weather was very changeable all day: sun, overcast skies, rain… But it ended in a dizzying fireworks display, while we sipped our aperitif!
Interview Bruno Schmidt
Quelqu’un m’avait expliqué où trouver le vieil homme : « Après le collège, après le terrain de sports, à gauche, une maison près de la mer. » Dès que je pénètre dans sa propriété – gazon ombragé par des arbres – il s’avance vers moi. Corps bronzé, musclé. De longs cheveux blancs dépassent de sa casquette. 90 ans ? On lui donnerait facilement vingt de moins ! Nous nous installons sur un tronc d’arbre, face à la mer. / Someone had told me where to find the old man: « Beyond the school, beyond the sports field, on the left, a house near the sea. » As soon as I enter his property—a lawn shaded by trees—he walks toward me. Tanned, muscular. Long white hair sticks out from under his cap. 90 years old? He could easily be twenty years younger! We sit down on a tree trunk, facing the sea.
« Je suis né à Mangareva en 1934, mais je ne suis pas un Mangarévéen de souche. Mon grand-père était allemand né au Danemark. Il a quitté l’Europe et a rencontré ma grand-mère chilienne à Valparaiso. Tout en bourlinguant, il a bossé à l’île de Pâques, puis à Mururoa. C’était bien avant les essais nucléaires : on y exploitait le coprah. Grand-père était contremaître dans une exploitation agricole. Puis il s’est installé à Mangareva. Mon père est né ici, et a épousé une Tahitienne qui vivait déjà dans l’île. / “I was born in Mangareva in 1934, but I’m not a native Mangarevean. My grandfather was German, born in Denmark. He left Europe and met my Chilean grandmother in Valparaiso. While traveling, he worked on Easter Island, then in Mururoa. This was long before the nuclear tests: copra was mined there. Grandfather was a foreman on a farm. Then he settled in Mangareva. My father was born here and married a Tahitian woman who already lived on the island.
Étant naturalisé français, comme tous les mineurs en Polynésie, mon père a été appelé sous les armes en 14-18. Il était infirmier dans les tranchées. De la Seconde Guerre mondiale je ne garde pas beaucoup de souvenirs. Il y avait moins d’approvisionnements, mais nous n’avions pas faim. Pour avoir de la lumière, nous utilisions la noix de bangoul. Cela produit beaucoup de suie. À propos, cette même suie était jadis utilisée pour les tatouages traditionnels. / Being a naturalized French citizen, like all those under-age in Polynesia, my father was called up for military service in 1914-1918. He was a medic in the trenches. I don’t have many memories of the Second World War. There were fewer supplies, but we weren’t hungry. To have light, we used the bangoul nut. It produces a lot of soot. By the way, this same soot was once used for traditional tattoos.
Dans ma jeunesse, la vie de l’île était rythmée par l’arrivée des bateaux qui venaient chercher le café, le coprah et la nacre. / In my youth, life on the island was punctuated by the arrival of boats that came to collect coffee, copra and mother-of-pearl.
J’ai fait mes études à Tahiti, et à l’âge de 19 ans, j’ai commencé à travailler. Quand le CEP s’est installé au début des années 1960, j’étais infirmier. On m’a chargé de récolter des échantillons de nourriture que je devais enfermer dans des sachets en plastique, même déjà pourris. Bien entendu, on ne m’a fourni aucune explication sur le but de la chose. » / I studied in Tahiti, and at the age of 19, I started working. When the CEP was established in the early 1960s, I was a nurse. I was tasked with collecting food samples that I had to seal in plastic bags, even if they were already rotten. Of course, I was given no explanation as to the purpose of this.”
Je lui demande ce qu’il pense du fait que la culture mangarévéenne ait disparu avec l’arrivée du catholicisme dans l’île. / I ask him what he thinks about the fact that Mangarevean culture disappeared with the arrival of Catholicism on the island.
« Lorsqu’en 1834, les pères François Caret et Honoré Laval sont arrivés sur l’île d’Akamaru, l’oncle du roi Maputeoa, Matua, les aida à apprendre la langue mangareva. Les Mangarévéens, contrairement aux Marquisiens plus guerriers, ne résistèrent pas longtemps à la conversion au catholicisme. Matua, qui était grand-prêtre, avait une influence bien plus grande que son cousin le roi, et lorsque Matua se convertit,Maputeoa lui-même suivait et se fit baptiser en 1836 en prenant le nom de « Grégoire » en l’honneur du pape de l’époque. La mission prospéra. Les maraes (lieux sacrés) furent détruits et des chapelles furent érigés sur les sites. Les habitants qui vivaient nus pour la plupart, reçurent des vêtements et des tissus. / “When Fathers François Caret and Honoré Laval arrived on the island of Akamaru in 1834, King Maputeoa’s uncle, Matua, helped them learn the Mangareva language. The Mangarevans, unlike the more warlike Marquesans, did not long resist conversion to Catholicism. Matua, who was a high priest, had far greater influence than his cousin the king, and when Matua converted, Maputeoa himself followed suit and was baptized in 1836, taking the name “Gregory” in honor of the pope at the time. The mission prospered. The maraes (sacred places) were destroyed and chapels were erected on the sites. The inhabitants, who mostly lived naked, were given clothes and fabrics.
On a dit beaucoup de mal des prêtres, mais ce sont surtout les commerçants de nacre européens qui les voyaient d’un mauvais œil, car les missionnaires régulaient la vente de nacre, afin d’éviter que les pêcheurs indigènes se fassent avoir. » / Much bad has been said about the priests, but it was mainly the European mother-of-pearl traders who looked down on them, because the missionaries regulated the sale of mother-of-pearl in order to prevent the native fishermen from being taken advantage of.
Je lui dis qu’avant de venir ici, j’avais lu le livre “L’Île d’Agnès – Itinéraire d’un Breton du 19ème siècle en Polynésie”, écrit par Jacques Guillou, qui vécut ici et qui avait épousé une Mangarévéenne. Le manuscrit de ce récit avait été découvert par un certain Jacques Sauvage. Mon interlocuteur rigole : / I told him that before coming here, I had read the book “L’Île d’Agnès – Itinéraire d’un Breton du 19ème siècle en Polynésie” (“The Island of Agnes – Itinerary of a 19th Century Breton in Polynesia”) written by Jacques Guillou, who lived here and married a Mangarévéan woman. The manuscript of this story had been discovered by a certain Jacques Sauvage. My interlocutor laughs:
« J’ai le même livre dans ma bibliothèque, avec une dédicace de Sauvage, que j’ai connu personnellement. Mais tout ce récit est du pipeau. Il n’y jamais eu de récit de ce Guilloux, bien qu’il ait vraiment existé. C’est Sauvage, s’inspirant largement des écrits du Père Laval, qui a inventé cette histoire de toutes pièces ! N’empêche que les données historiques de ce livre sont bien réelles, si on fait abstraction du prétendu vécu de ce Guilloux, qui était un simple déserteur venu vivre loin de la métropole ! » / « I have the same book in my library, with a dedication from Sauvage, whom I knew personally. But this whole story is a hoax. There has never been an account of this Guilloux, although he really existed. It was Sauvage, drawing largely on the writings of Father Laval, who invented this story from scratch! Nevertheless, the historical data in this book are very real, if we ignore the supposed life of this Guilloux, who was a simple deserter who came to live far from the metropolis! »
Il se tait, le regard perdu vers l’horizon. / He is silent, his gaze lost towards the horizon.
« Pour en revenir à la culture mangarévéenne, elle s’est effectivement perdue au fil du temps. Mais aujourd’hui, les jeunes se posent des questions et sont à la recherche de leurs origines. Les chants, les danses de jadis reviennent, on est plus attaché au mangarévéen qu’au français. Les jeunes cherchent des motifs décoratifs mangarévéens pour se les faire tatouer. Mon petit-fils Stéphane en fait partie. » / « As to Mangarevean culture, it has indeed been lost over time. But today, young people are asking questions and searching for their origins. The songs and dances of yesteryear are making a comeback; we are more attached to Mangarevean than to French. Young people are looking for Mangarevean decorative motifs to get tattooed. My grandson Stéphane is amongst them. »
Il se tait. Je prends congé de cet homme chaleureux, si incroyablement jeune de corps et d’esprit. / He falls silent. I take my leave of this warm man, so incredibly young in body and mind.
Vendredi 14 mars 2025 / Friday 14 March 2025
Ceux qui me connaissent doivent se dire : « Steven en Polynésie ? Il doit faire plein de photos sous-marines ! » Au risque de vous décevoir (et je suis un peu déçu moi-même de ce côté-là), jusqu’à présent pas de photos sous l’eau dignes de ce nom. À cela, plusieurs raisons. D’abord, on a beaucoup de vent, et la mer est plutôt agitée. Avec cela, partout où nous allons, la visibilité est plutôt mauvaise, l’eau étant troublée pour une raison que j’ignore. Du plancton ? Pas une seule plongée en dix jours sur place. Tout juste quelques petites balades en snorkeling, avec mon iPhone dans un boîtier étanche pas très maniable, avec lequel je fais quelques photos plutôt au jugé que de voir vraiment ce que je fais… Ne vous étonnez donc pas de la piètre qualité… Mais voici tout de même quelques images faites ce matin. Beaucoup de méduses aurélies : / Those who know me must be thinking: « Steven in Polynesia? He must be taking lots of underwater photos! » I might be disappointing you (and I’m a little disappointed myself on this score), so far I haven’t taken any decent underwater photos. There are several reasons for this. First, we have a lot of wind, and the sea is rather rough. With that, everywhere we go, visibility is rather poor, the water being cloudy for some reason I don’t know. Plankton? Not a single dive in ten days here. Just a few short snorkeling trips, with my iPhone in a waterproof case that’s not very handy, with which I take a few photos rather by guesswork than really seeing what I’m doing… So don’t be surprised by the poor quality… But here are a few images taken this morning. Lots of jellyfish:
Des demi-becs évoluant juste sous la surface. / Half-beaks evolving just below the surface.
Des sergents-major parmi les branches d’acropore. / Sergeant-majors among the branches of acropora.
Passage d’un petit requin pointe-blanche de récif. / A small white-tip reef-shark passes by.
Hier, nous avions traversé de Mangareva à Aukena, aujourd’hui navigation d’Aukena à Agakauitai. / Yesterday we crossed from Mangareva to Aukena, today we sail from Aukena to Agakauitai.
Dans les deux cas, j’ai fait le guet, pour prévenir Jurriaan des multiples bouées de perliculteurs qui rendent la navigation difficile. [Photo Camila De Conto] / In both cases, I kept watch, to warn Jurriaan of the many pearl farmers’ buoys that make navigation difficult. [Photo Camila De Conto]
Le vent est fort, la mer agitée. Après seulement 3 mois d’utilisation, le pavillon luxembourgeois de « Songster » est déjà en lambeaux. Ceux qui ornaient les capots de « La Petite » et de « La Charmante » avaient mieux résisté aux intempéries ! / The wind is strong, the sea rough. After only 3 months of use, the Luxembourg flag of « Songster » is already in tatters. Those that adorned the hoods of « La Petite » and « La Charmante » had withstood the weather better!
Nous arrivons à l’île d’Agakauitai. Les vagues déferlent sur les rochers. / We arrive at Agakauitai Island. Waves crash against the rocks.
À gauche Taravai, à droite Agakauitai, et au fond, entre les deux, Mangareva. / On the left Taravai, on the right Agakauitai, and in the background, between the two, Mangareva.
Paysages idylliques. Les Gambier ne sont pas des îles plates coralliennes avec des palmiers, mais des îles volcaniques escarpées, avec une végétation diverse, dont beaucoup de pins. / Idyllic landscapes. The Gambier Islands are not flat coral islands with palm trees, but rugged volcanic islands with diverse vegetation, including many pine trees.
Petite excursion à terre : les 3 hommes de l’équipage. [Photo Camila De Conto] / Short excursion ashore: the 3 men of the crew. [Photo Camila De Conto]
Nid de guêpe dans un pin. / Wasp nest in a pine tree.
Fin d’une longue journée, suivie de la préparation des photos et de l’écriture du blog… Temps de me coucher ! / End of a long day, followed by preparing photos and writing the blog… Time to go to bed!
Jeudi 13 mars 2025 / Thursday 13 March 2025
Nous nous rendons au College Saint Raphael de Rikitea, qui scolarise près de 150 jeunes répartis en deux grands blocs : le collège et la formation professionnelle. Cette dernière est surtout connue pour sa formation en gravure sur nacre. Ici, le jeune Marama au travail. La poussière de nacre résultant du travail de gravure est aspirée par le tuyau gris, mais malgré ça, les jeunes sont obligés de porter un masque ainsi qu’un casque pour protéger les oreilles du bruit. / We’re heading to the Saint Raphael College in Rikitea, which educates nearly 150 young people divided into two main blocks: middle school and vocational training. The latter is best known for its mother-of-pearl engraving program. Here, young Marama at work. The mother-of-pearl dust resulting from the engraving process is sucked up through the gray hose, but despite this, the youngsters are required to wear masks against the dust and headphones to protect their ears from the noise.
Mihi montre la coquille sur laquelle elle va graver d’après l’exemple se trouvant sur le tableau blanc. / Mihi shows the shell she is going to engrave based on the example on the whiteboard.
C’est un travail minutieux qui demande patience et adresse. / It is meticulous work that requires patience and skill.
Poevai montre un coquillage sur lequel elle a gravé un thème floral. / Poevai shows a shell on which she has engraved a floral theme.
Des médailles pour le taratutu (« parler d’une voix forte ») de 2025, avec la tour du roi Maputeoa. / Medals for the taratutu (“speaking with a loud voice”) from 2025, with the tower of King Maputeoa.
Avec l’arrivée des missionnaires et l’implantation du catholicisme il y a près de deux siècles, la culture mangarévienne a quasiment disparu. Mais récemment, la jeune génération est à la recherche de ses racines : on voit par exemple de plus en plus de tatouages avec des motifs mangaréviens. Ici des coquillages avec la représentation d’une statue et d’autres motifs religieux d’avant la christianisation. Sur le troisième, des thèmes linguistiques du « ki mangareva » (« le dire mangarévien ») : TOLA = femme, TAMAROA = homme, TOROMIKI = enfant. / With the arrival of the missionaries and the establishment of Catholicism nearly two centuries ago, Mangarevan culture virtually disappeared. But recently, the younger generation is searching for its roots: for example, we are seeing more and more tattoos with Mangarevan motifs. Here, shells with the representation of a statue and other religious motifs from before Christianization. On the third, linguistic themes of « ki mangareva » (« Mangarevian speech »): TOLA = woman, TAMAROA = man, TOROMIKI = child.
Poevai a tressé une couronne pour Camila. / Poevai braided a crown for Camila
On se rend chez un artisan qui fait des bijoux à base de perles. Il y en a de toutes les couleurs ! Lesquelles prendre pour Marie-Xavier ? Ne vous inquiétez pas : le choix est fait ! / We’re heading to a craftsman who makes pearl jewelry. They come in all sorts of colors! Which ones for Marie-Xavier? Don’t worry: the choice is made!
Dans l’après-midi, nous levons l’ancre afin de faire la traversée à l’île d’Aukéna. Il faut rester dans le chenal balisé afin de ne pas s’échouer sur le récif. Ensuite, c’est le parcours du combattant à travers les centaines de bouées qui marquent les parcs de perliculture. On dirait un champ de mines ! / In the afternoon, we weigh anchor to make the crossing to Aukéna Island. We must stay within the marked channel to avoid running aground on the reef. Then, it’s an obstacle course through the hundreds of buoys marking the pearl farms. It’s like a minefield!
Nous voici arrivés à Aukéna. / Here we are at Aukéna.
La toute première église de la Polynésie était construite à Aukéna. Elle est dédiée à Saint Raphaël archange. Au départ, elle est en bois. Les constructions en dur se réalisent après, notamment grâce au frère Gilbert Soulié, venu rejoindre la mission en mai 1835. / The very first church in Polynesia was built in Aukéna. It is dedicated to Saint Raphael the Archangel. Initially, it was made of wood. Permanent structures were later built, notably thanks to Brother Gilbert Soulié, who joined the mission in May 1835.
Nous rencontrons Anton Paroi. C’est lui qui détient la clef de la chapelle, où il va prier tous les matins. Avec son voisin qui habite à des kilomètres d’ici, ils sont les seuls habitants de l’île ! / We meet Anton Paroi. He holds the key to the chapel, where he prays every morning. Along with his neighbor who lives miles away, they are the only inhabitants of the island!
Nous regagnons « Songster », qui se découpe sur un beau ciel, avec Mangareva en arrière-plan. / We return to “Songster”, which stands out against a beautiful sky, with Mangareva in the background.
Le soleil se couche. Cette nuit, nous allons assister à un spectacle unique : nous aurons droit à une éclipse lunaire totale ! / The sun is setting. Tonight, we’re in for a unique spectacle: a total lunar eclipse!
Mercredi 12 mars 2025 / Wednesday 12 March 2025
Interview de Caroline Mamatui
Lorsque j’arrive à sa petite maison coquette qui se trouve juste derrière la cathédrale Saint-Michel, elle est en train d’arroser son jardin. Portant des lunettes foncées (« Je viens d’être opérée des yeux »), ses cheveux blancs tranchent sur sa peau mate. Elle m’invite à m’asseoir.
« Je suis née ici en 1945. Nous étions six : 2 frères et 4 sœurs. Enfant, j’étais en très mauvaise santé. Lorsque ma famille a déménagé à Tahiti pour y trouver du travail, j’ai été adoptée par un couple sans enfant. Mes nouveaux parents étaient très pauvres. À l’époque de ma jeunesse, il y avait encore la culture du coprah et du café dans l’île. Mon père y travaillait, ou alors il allait plonger pour ramener de la nacre. La plupart des plongeurs étaient des hommes, mais il y avait quelques femmes élgalement. Pour assurer la pérennité de la récolte, le lagon était divisé en quatre secteurs. Il y avait une rotation annuelle. On exploitait un seul secteur par an, laissant les trois autres en friche.
J’accompagnais parfois mon père en mer sur sa pirogue. Il plongeait avec un plomb attaché à une corde et avec des petites lunettes pour voir sous l’eau. Lorsqu’il fallait le remonter, il secouait la corde et je devais alors tirer dessus, pour le remonter avec sa gueuse de plomb. Les plus belles coquilles à nacre se trouvaient également les plus profonds. Je me souviens que je pleurais quand mon père allait plonger dans la passe, très profonde. Il n’y avait personne d’autre et j’avais très peur qu’il ne remonterait pas. »
L’arrivée de la bombe atomique
« À l’époque de ma jeunesse, on vivait en communautés par quartier. Il y avait beaucoup d’entraide, pour travailler la terre, reconstruire une maison… On partageait la nourriture, surtout les poissons pêchés dans le lagon, car on n’avait pas encore de frigos.
En 1963, notre vie a changé, avec l’arrivée d’un premier régiment de militaires dans le district de Taku, la construction d’une route et l’installation d’une station météorologique au col. Puis ils s’installèrent également sur le motu de Totegegie. Ils étaient 700 militaires pour seulement 500 locaux. Ils ont construit des bunkers. Bien entendu, nous, pauvres Mangaréviens, n’étions au courant de rien !
Je me suis retrouvée enceinte à deux reprises. Les pères de mes deux fils sont repartis sans laisser de trace. Lorsqu’en 1966 a eu lieu le premier tir nucléaire à Mururoa, on nous a obligés d’entrer dans un abri. J’avais 21 ans et j’étais enceinte de huit mois. Nous n’y sommes restés qu’une seule nuit. Je me souviens d’avoir senti les vibrations de la détonation, mais bien sûr nous ne savions pas ce qui se passait.
Mais les essais atomiques ont totalement changé la vie des Mangaréviens. On nous incitait à planter des légumes, qui étaient destinés aux militaires à Mururoa. Régulièrement, des bateaux venaient les chercher. Comme cela nous a assuré des revenus, les gens pouvaient faire venir des matériaux pour construire en dur. Ma maison [elle fait un geste autour d’elle] est celle qu’ont construite mes parents à l’époque. Elle a soixante ans. En 1968, les militaires ont quitté les îles Gambier. »
L’amour de Dieu
« Plus tard, je suis devenue laïque consacrée, m’occupant, en dehors de la prière, de la catéchèse et de la préparation des personnes qui le désirent à l’entrée dans l’Église. Je prie pour ceux qui sont en mer, en l’air et sur les autoroutes, pour qu’ils arrivent à bon port. » [Puis, d’une voix forte et tournant le visage vers le ciel :] « Dieu, je Vous aime, je Vous adore ! Je sais que Tu es là. » [et, se tournant vers moi :] « Dieu nous a créé, Dieu a tout fait. Il est éternel, Il est le plus grand. Je ne doute jamais, et je ne vais pas me mettre à douter à 80 ans ! »
[Lorsque je lui demande ce qu’elle pense de l’arrivée des missionnaires, vers 1830, et de la disparition des croyances locales au profit de la religion catholique :]
« Je pense que la transition de la religion païenne polythéiste vers le catholicisme a été un mieux. De surcroît, les Pères ont défendu la population locale contre les mauvaises pratiques des commerçants européens, qui échangeaient des barriques entières de nacres contre un simple canif ! »
La même nacre qui décore maintenant l’intérieur de la cathédrale. Je prends congé de Caroline. Il est temps pour elle d’aller prier.Caroline Mamatui (12/03/25)
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Interview of Caroline Mamatui
When I arrive at her charming little house just behind Saint-Michel Cathedral, she is watering her garden. Wearing dark glasses (« I just had eye surgery »), her white hair contrasts with her olive skin. She invites me to sit down.
« I was born here in 1945. There were six of us: two brothers and four sisters. As a child, I was in very poor health. When my family moved to Tahiti to find work, I was adopted by a childless couple. My new parents were very poor. When I was growing up, copra and coffee were still being grown on the island. My father worked there, or he went diving to collect mother-of-pearl. Most of the divers were men, but there were also a few women. To ensure the sustainability of the harvest, the lagoon was divided into four sectors. There was an annual rotation. We only exploited one sector per year, leaving the other three fallow.
I sometimes accompanied my father to the sea in his canoe. He dived with a lead weight attached to a rope and with small goggles to see underwater. When we had to haul him in, he jerked the rope, and I had to pull on it to bring him up with his lead weight. The most beautiful mother-of-pearl shells were also found in the deepest areas. I remember crying when my father went to dive into the channel, which was very deep. There was no one else there, and I was very afraid he wouldn’t come back up.”
The Arrival of the Atomic Bomb
« When I was growing up, we lived in neighbourhood communities. There was a lot of mutual help, working the land, rebuilding a house… We shared food, especially fish caught in the lagoon, because we didn’t yet have refrigerators.
In 1963, our lives changed with the arrival of the first military regiment in the Taku district, the construction of a road, and the installation of a weather station at the pass. Then they also settled on the motu of Totegegie. There were 700 soldiers for only 500 locals. They built bunkers. Of course, we poor Mangarevans didn’t understand!
I became pregnant twice. The fathers of my two sons left without a trace. When the first nuclear test took place in Mururoa in 1966, we were forced into a shelter. I was 21 years old and eight months pregnant. We only stayed there for one night. I remember feeling the vibrations of the detonation, but of course, we didn’t know what was happening.
But the atomic tests completely changed the lives of the Mangarevans. We were encouraged to plant vegetables, which were intended for the military in Mururoa. Boats regularly came to collect them. Since this provided us with an income, people could bring in materials to build a permanent home. My house [she gestures around her] is the one my parents built at the time. It’s sixty years old. In 1968, the military left the Gambier Islands.”
God’s Love
« Later, I became a consecrated lay person, working, apart from prayer, on catechesis and preparing those who wish to enter the Church. I pray for those at sea, in the air, and on the highways, that they may arrive safely. » [Then, in a loud voice and looking up to the sky:] « God, I love You, I adore You! I know You are there. » [and, turning to me:] « God created us, God made everything. He is eternal, He is the greatest. I never doubt, and I’m not going to start doubting at 80! »
[When I ask her what she thinks of the arrival of the missionaries, around 1830, and the disappearance of local beliefs in favour of the Catholic religion:] « I think the transition from the polytheistic pagan religion to Catholicism was for the better. Moreover, the Fathers defended the local population against the evil practices of European traders, who traded entire barrels of mother-of-pearl for a simple penknife! »
The same mother-of-pearl that now decorates the interior of the cathedral. I take my leave of Caroline. It’s time for her to go and pray.