(13) – Hiroshima

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0174Une statue montre une jeune fille avec un oiseau. En fait, cet oiseau est une grue, comme on les plie en origami. La fille est Sadako, deux ans quand la bombe explosa à 1,7 km de distance. Intouchée en apparence, elle développa une grave leucémie à l’âge de 11 ans. On lui avait dit que si elle pliait mille grues, elle vaincrait la maladie. Elle en plia bien plus, mais mourut néanmoins en 1956, après 8 mois d’agonie.

 

 

0171Aujourd’hui encore, des milliers de personnes plient des milliers de grues de toutes les couleurs, avec ce message de paix: «Plus jamais ça, plus jamais des enfants!» J’arrive au “Hiroshima Peace Memorial Museum”. Dès l’entrée, le ton est donné par une horloge. Elle affiche deux nombres. 23827 – le nombre de jours depuis le 6 août 1945: «Nous n’oublierons jamais.» Et 46 – le nombre de jours depuis le dernier test atomique: «Nous, à Hiroshima, oeuvrons pour un monde de paix, sans armes atomiques – et on vous tient à l’œil!»

0213Une autre montre, en photo géante celle-là, une des nombreuses à s’être arrêté au moment de l’explosion.Une mère explique “Hiroshima” à sa fille… Peut-on expliquer à sa fille que des enfants comme elle ont été volatilisés instantanément?

 

 

 

 

12-2Hiroshima 1945 – vu de dessus.  Ça y est, l’équipage du bombardier B-29 “Enola Gay” est prêt pour sa mission! On pose devant l’oiseau d’argent. Autour du commandant de bord, le colonel Paul Tibbets, une équipe de gamins presque, des jambes de sauterelles. Il fait chaud, on est sur l’île de Tinian dans le Pacifique. Le moment est historique, mais la plupart l’ignorent encore. Pas Tibbets, la mâchoire ferme, le regard déterminé. Il sait ce qu’il va faire. C’est un honneur pour lui, c’est un aboutissement de plusieurs mois de préparatifs: «On va tuer du Jap!» Peut-on lui en vouloir? C’est la guerre, et ce ne sont pas les Américains qui l’ont commencé. Il est même fier, Tibbets, d’être celui par qui le “Manhattan Project” va enfin aboutir, après des années (et 2 milliards de dollars) d’efforts. Dans les petites heures du 6 août 1945, 3 bombardiers B-29 décollent donc direction le Japon, un vol de six heures et demie. À bord du “Enola Gay”, la bombe “Little Boy”, à peine 3 m de long pour 4 tonnes. Les deux autres avions doivent servir d’observatoires. À 8h15, la cible, le pont Aioi en forme de “T”, apparaît dans le viseur “Norden” du bombardier Thomas Ferebee. La bombe est lâchée d’une altitude de 9855 mètres et Tibbets vire immédiatement sur l’aile: il s’agit de dégager le plus rapidement possible! Au bout de 57 secondes de chute, arrivée à 580 mètres du sol, le système de détonation entre en action.

Atomic_cloud_over_HiroshimaTibbets: «Une lumière intense emplissait l’avion. La première onde de choc nous heurta. On était à onze milles et demi en oblique [21 km – SW] de l’explosion atomique, mais l’avion entier craqua et se gondola sous l’effet du souffle… On retourna pour avoir une vue de Hiroshima. La ville était cachée par cet affreux nuage… en forme de champignon, terrifiant et incroyablement grand.»

L’avion scientifique mesure les températures et la pression causées par cette déflagration atomique. Température au centre de la boule de feu (diamètre 440 m au bout d’une seconde): plus d’un million de degrés. Température au sol, sous la bombe: entre 3000 et 4000°C. Onde de choc supersonique et vent de 1600 km/h. Un beau succès! On observe, on enregistre. Puis c’est le long et fatigant vol de retour. J’imagine aisément que l’on sort les thermos de café et les sandwichs. Mission accomplie!

 

Hiroshima 1945 – vu de dessous.  Les habitants de la ville ignoraient tout du sort qui les attendait. Depuis février 1945, la plupart des grandes villes japonaises étaient inondées de bombes incendiaires américaines. Ces bombardements étaient terribles: 500.000 morts, 5.000.000 de personnes déplacées, Tokyo anéanti à 50%… Hiroshima avait échappé aux bombardements (c’était intentionnel, apprendra-t-on par la suite: il s’agissait de voir l’effet de La Bombe sur une ville intacte et sa population). Pour faire face à un éventuel bombardement, on créa des lignes coupe-feu à travers la ville. Pour cela, il fallait démolir des centaines de maisons, tâche accomplie en grande partie par des collégiens, garçons et filles, les hommes étant au front. Ce matin-là, beaucoup d’entre eux étaient déjà à pied d’œuvre. Des élèves plus petits se tenaient alignés dans la cour pour l’appel du matin. Des adultes se rendaient à leur travail: à pied, à vélo, avec le tramway… Un matin d’été comme les autres. Trois avions ennemis approchaient haut dans le ciel. On ne sonna pas l’alerte: ils n’étaient que trois – sûrement des avions de reconnaissance. On n’envoya pas des chasseurs non plus – l’essence se faisait rare, on n’allait pas en gaspiller pour si peu… Nul ne vit probablement la bombe tomber. Seulement 560 grammes d’Uranium 235 causèrent l’explosion. Après 10 nanosecondes de fission nucléaire, un flash de lumière intense relâcha des rayons gamma, au bout de 3 millisecondes la boule de feu plasma se forma et au bout d’un dixième de seconde – environ le temps qu’il faut au cerveau humain pour enregistrer – le bas de cette boule arriva au sol. Ceux qui se trouvèrent directement dessous n’ont jamais eu le temps de réaliser ce qui leur arriva, avant qu’ils soient instantanément évaporés ou entièrement carbonisés. Ils étaient entre 70.000 et 80.000. C’étaient les plus chanceux…

12-3Des dizaines de milliers d’autres eurent moins de chance: les blessés. Ils ne comprirent pas ce qui leur était arrivé. Le flash de lumière et de radiation dura moins d’une seconde. Suffisamment pour les brûler. Il y avait ceux qui étaient noircis, la peau carbonisée. Ils ne survécurent pas longtemps. Certains se jetèrent dans les fleuves pour soulager leurs brûlures et moururent, le courant les emporta…

 

0506D’autres, la peau pendant en lambeaux, errèrent comme des fantômes, certains totalement hébétés et silencieux, d’autres hurlant de douleur.

Toutes les vitres avaient volé en éclats, les tessons volants se plantant dans les murs… et dans les visages et les corps des victimes. Les moins touchés, en regardant autour d’eux, virent, sans bien comprendre, que leur ville avait disparu!

Et puis il y avait ceux, nombreux, qui allaient mourir des suites des radiations. Certains dans les heures qui suivirent, d’autres dans les jours, les semaines et les mois qui suivirent. Fin 1945, on estima qu’entre 90.000 et 150.000 victimes étaient mortes des suites de la bombe. Et puis il y eut les effets à long terme: les nombreux cancers, comme celui qui emporta Sadako…

 

Et la vérité ?  Les faits rapportés ci-dessus sont réels. C’est donc de l’histoire et pas des histoires. La question a souvent été posée: «Était-ce justifié?» Les historiens continuent de se chamailler sur ce sujet. La version américaine officielle a toujours été de dire que les bombes sur Hiroshima et Nagasaki ont accéléré la reddition du Japon, évité de longs et âpres combats sur le sol japonais et sauvé ainsi des millions de vies japonaises et américaines. Certains historiens rétorquent que le Japon était de toute façon déjà à genoux, que les bombardements conventionnels, l’ouverture du front de Mandchourie par l’URSS et le blocus américain suffisaient pour que le Japon se soit rendu de toute façon bien avant fin 1945. J’ajouterai pour ma part que les bombardements “conventionnels” étaient à peine moins horribles que la guerre atomique (voir Hambourg, Dresde, Tokyo…). Il semble avant tout que les USA aient voulu montrer à l’URSS qui était le plus fort: la guerre froide n’était plus très loin. Après avoir investi lourdement dans le projet Manhattan, on voulait aussi voir de quoi “La Bombe” était capable… Le Japon fut probablement choisi comme vengeance pour Pearl Harbour et parce que les militaires japonais étaient en effet une bande fanatique et peu reluisante… Mais ce n’étaient pas les femmes et les enfants de Hiroshima! Guerre est synonyme d’atrocité. Et elle ne connaît pas de gagnants, uniquement des perdants.

013212-1Je conduis “La Petite” hors de la ville moderne de Hiroshima. On va découvrir un autre Japon !

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