(16) – Eau chaude et douche froide

Pour l’étape précédente, cliquer ici: Arrêté par la police

Il y a deux semaines, j’avais déjà parlé avec Tokihiko Sakamoto de la possibilité de visiter ensemble un onsen, bain thermal japonais alimenté par une source naturelle géothermale. Il s’agissait pour moi de goûter à cette tradition bien ancrée dans la vie japonaise et aussi, dans la mesure du possible, d’en ramener quelques photos. Mais Tokihiko est pris par son travail et mon séjour touche à sa fin.

J’évoque le sujet avec mon amie Yoshie. «Tu peux visiter une source chaude sans problème, me dit-elle, mais ça m’étonnerait qu’on te laisse prendre des photos.» Comme en plus je ne sais pas du tout quel est le rituel à suivre, j’appréhende un peu d’aller dans un onsen non accompagné. Yoshie me dévisage, elle hésite visiblement. «Je veux bien te faire connaître un onsen. Moi-même, j’adore! Si tu tiens absolument à faire des photos, je ne vois qu’une possibilité. Les Japonais sont assez pudiques, bien que la nudité soit tout à fait normale dans les onsen. Les bains mixtes sont devenus très rares. Je te propose de réserver un onsen familial, c’est-à-dire privé, et l’on y va tous les deux. Mais je veux voir les photos avant de t’autoriser à les utiliser!»

C’est ainsi qu’on se retrouve à l’onsen de Yuwaku, petite ville thermale de province. Accueil à l’entrée par une dame en kimono. Une rangée impressionnante de pantoufles. Je quitte mes chaussures et enfile une paire de savates. Ascenseur. On nous introduit dans une sorte d’antichambre meublée avec goût dans un style traditionnel. Table basse et tatami. Ici, nous devons quitter nos pantoufles à leur tour et chausser des tongs en bois. Comme j’ai des chaussettes européennes et non-japonaises (avec gros orteil séparé), je marche comme un éclopé. Yoshie se fiche gentiment de moi. On traverse un petit jardin. Et là, belle maisonnette vitrée, comportant trois parties. Une pièce pour se déshabiller.

Petite 15-1Ensuite, une partie pour se laver. On est supposé se laver scrupuleusement de la tête aux pieds avant d’entrer dans le bain du onsen. On doit être rigoureusement propre et bien rincé: pas une trace de savon ne doit souiller l’eau commune. Je me laisse glisser dans le bassin octogonal en granit. L’eau est très chaude. À côté, Yoshie se lave à son tour. Elle cache sa nudité avec une serviette, qu’elle enlève juste avant de se laisser couler dans l’eau du bassin.

2488Silence. À travers les rideaux de bambou des baies vitrées, on devine le petit jardinet qui nous entoure. Elle me demande si ça va. Ça va. C’est très chaud, mais ça va. Je me détends. Je m’assoupis. On n’entend plus que l’eau qui coule dans le bassin par un petit orifice taillé dans la pierre. On a cinquante minutes pour en profiter. Dieu, qu’est-ce qu’on est bien au Japon!

 

Il faut acheter russe!

Je ne voyage pas selon un schéma ou un horaire précis. Je poursuis – grossièrement – l’itinéraire du rallye de 1908, et en montant dans “La Petite” le matin, je ne sais en général pas où je dormirai le soir. Mais il y a des choses qui ne s’improvisent pas… Du genre: «Comment aller du Japon à Vladivostok?». Internet m’apporta la réponse: il y a un ferry hebdomadaire, qui part du port de Fushiki, juste à côté de la ville de Toyama. Le bateau s’appelle “Rus”, et il l’est, russe.

Mais fin septembre, lorsqu’il s’agit de réserver mon passage, j’apprends la mauvaise nouvelle. Le “Rus” est parti pour la mer Baltique. Il partait toujours plein de voitures japonaises d’occasion et leurs convoyeurs vers Vladivostok, ces mêmes voitures qu’en 2007 Igor et moi voyions passer en cortège sur la longue route traversant la Sibérie. Mais voilà, les taxes d’importation ont été augmentées par Poutine, il faut encourager les Russes à acheter russe, et l’industrie automobile russe est renaissante… Du coup, les bagnoles japonaises d’occasion ne sont plus lucratives, le trafic s’est arrêté, le “Rus” n’était plus rentable, on l’a affecté ailleurs. Mais moi, dans tout ça? Je découvre, toujours sur Internet, qu’un autre ferry a pris la relève. Il est coréen, et s’appelle le “New Dong Chun”. Son représentant japonais est FKK Air Service à Toyama. J’écris un premier mail à FKK le 8 octobre. Je reçois, en réponse, un formulaire en Japonais. J’en demande un autre à Shiotani-san, l’homme de FKK. Et sur ce formulaire écrit en Anglais, je fais ma réservation pour le 4 novembre. Réservation que je modifie ensuite pour le 18 novembre; je veux passer un peu plus de temps au Japon, et il n’y a qu’un ferry par quinzaine. Réservation confirmée le 19 octobre, après un échange total de 14 mails. Voilà qui est fait. Je suis déjà à Tokyo, et mon ami Akimi-san a des doutes sur ce ferry coréen. «Ils sont nouveaux, ils ne sont pas connus, je n’ai pas confiance. Pourquoi tu ne partirais pas de Sakaiminato; il y a là un ferry fiable et hebdomadaire…»

 

Le ferry fantôme

Au début, je n’y prête pas attention. Je n’ai pas envie de rebrousser chemin sur 500 km, une fois que je serai arrivé à Kanazawa, et puis, j’ai la confirmation de Monsieur Shiotani… Mais une semaine plus tard, le 26 octobre, j’écris un mail depuis mon ryokan à Kyoto à Shiotani-san, juste par acquit de conscience: «Vous me confirmez bel et bien que je suis réservé sur le ferry du 18 novembre?» La réponse tombe le lendemain: «Hélas non, le ferry est en panne, hélice bâbord endommagée, bateau en cale sèche jusqu’à nouvel ordre, services novembre annulés…» De la foutaise, bien sûr! Ils ont annulé faute de clients, comme les Russes. On est le 27 octobre, le temps presse. Je contacte mon amie Yoshie, la seule pouvant me sortir de ce pétrin. En l’espace de quelques mails et quelques fax, elle m’a trouvé et réservé un passage sur le ferry coréen qui assure la liaison entre Sakaiminato et Vladivostok – le seul moyen restant pour arriver en Russie avec une voiture.

 

Je quitte le Japon

0938Rendez-vous avec Akamine-san, le transitaire qui a préparé tous les papiers pour le transport de “La Petite”. Plutôt beau gosse, il m’explique la marche à suivre, je lui paye les 500 dollars du transport.

Entre temps, les responsables de la douane sont arrivés. Ce sont eux qui doivent contresigner le Carnet, preuve que la voiture a bel et bien été réexportée du Japon.

Petite 15-2Cela ne prend que quelques minutes, la douanière est souriante et charmante – on craquerait pour moins!

Et c’est avec ses souhaits de bon voyage que se clôture cette séance que je redoutais tant…

 

 

0940“La Petite” a le droit de monter à bord du “Eastern Dream”! La cale du bateau est presque vide, et “La Petite” s’y trouve un peu perdue…

On appareille. Et finalement c’est avec un pincement de coeur que je vois peu à peu le port de Sakaiminato, puis la côte japonaise, disparaître.

 

Les bons souvenirs

Je gagne mon énorme cabine à huit couchettes, que je suis seul à occuper.

9408Avant de m’endormir, bercé par le roulis et le bruit des machines, je pense à Yoshie, mon amie pour la vie, pleurant dans son train.

 

 

 

 

 

9818Je pense à l’ “Oncle” Kazuo Furuno, à la “Tante” Wakako et à leur fille Emiko, ma famille adoptive d’Hirakata. Je pense à Tokihiko et Izumi Sakamoto, qui ont fêté mes 64 ans avec moi, à Kamakura.

 

 

9219Je pense à Akimi, l’homme à la 4CV japonaise, et sa charmante épouse Kazue, qui avaient mis à ma disposition ma première chambre japonaise traditionnelle, à Tokyo. Tous ces amis chaleureux ont rendu le Japon inoubliable.

 

0729Je revis le drame de Hiroshima, cette ville qui crie pour que cessent enfin les guerres… Je revois les temples et les sanctuaires, les chemins de campagne, les arbres taillés, la procession Shinto, le coucher de soleil à Matsue. Je me replonge dans l’eau chaude de l’onsen. Je goûte à nouveau toutes ces saveurs si spéciales de la cuisine japonaise. Je repense à toutes ces situations qui m’ont tracassé sur le coup mais qui aussitôt après devenaient cocasses. Le piment du voyage! Un mois au Japon avec “La Petite”, quelle expérience!

Je traverse la mer du Japon maintenant, à la poursuite des héros de la Grande Course de 1908. Je les retrouverai bientôt, à Vladivostok!

Pour l’étape suivante, cliquer ici: Roupiller & Ripailles en Russie (1)