(6) – Bactéries et chemin de fer

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Yellowstone: immense caldeira formée lors d’éruptions cataclysmiques qui eurent lieu de façon répétitive, il y a 2 millions, 1,3 millions et 640 mille ans. Il y en aura une autre, qui fera sans doute beaucoup de dégâts, mais dont on ne peut pas prévoir la date… Yellowstone est situé sur un “hot spot”, un endroit de la croûte terrestre particulièrement mince. L’eau de surface qui s’y infiltre est réchauffée, et 90% des geysers de la planète s’y trouvent concentrés.

Photo1“La Petite” se trouve confrontée aux geysers, aux fumerolles et aux boues bouillantes… Les couleurs et les structures sont absolument époustouflantes. Dans ces eaux en ébullition, surchargées en minéraux, il y a des êtres vivants! Les couleurs brunes, jaunes, ocres et rouges sont dues à des tapis de cyanobactéries, les organismes les plus anciens de la Planète. Nous nous trouvons en présence des conditions primitives de la vie sur Terre.

Nous quittons le parc par l’Ouest et entrons dans le Montana. C’est à ce moment précis que le compteur affiche 00000… Depuis sa construction en 1959, “La Petite” vient d’accomplir son premier tour de compteur. Mais celui-ci, imperturbable, recommence à égrener les kilomètres. C’est reparti pour un tour  Deux jours et deux états – Idaho et Utah – plus tard, nous faisons un arrêt  à la gare d’Ogden, où nous découvrons un des wagons du “train de la reconnaissance française”. En 1949, la France offrit aux USA un train de 49 wagons de l’ancienne PLM (ligne Paris-Lyon-Marseille), un pour chaque état américain, pour remercier les États-Unis pour leur rôle dans la libération de la France.

 

ZigZags. En arrivant à Ogden, nous retrouvons enfin le tracé de la Grande Course de 1908. Car nous avons pas mal zigzagué par rapport à leur itinéraire. Un peu trop au Sud dans l’état de New York, nettement au Nord en entrant dans le Wisconsin, trop au Sud encore en entrant dans le Colorado, puis à nouveau trop au Nord en visitant les parcs nationaux de Grand Teton et Yellowstone…

Photo2En face de la gare style 1900, une rue marchande avec des bâtiments de la même époque. Des inscriptions délavées sur les murs de brique, vantant des produits disparus depuis longtemps. D’anciens hôtels. Je me demande dans lequel ont pu séjourner, il y a un siècle, George Schuster, Antonio Scarfoglio ou Hans Koeppen… À une heure de route d’ici, au Nord du Grand Lac Salé, se trouve le lieu-dit Promontory Summit. C’est là que le 10 mai 1869 eût lieu l’une des rencontres les plus importantes de l’histoire des États-Unis. Entre deux locomotives. L’une venant de la côte Est, l’autre du Pacifique. À bord de l’une d’elles se trouvait un grand clou en or massif. En enfonçant ce dernier dans la dernière traverse, le chemin de fer transcontinental devenait un fait. Des trains reliaient désormais les deux côtes d’un continent immense, traversé jusqu’à là, péniblement, par des pionniers, à pied, à cheval, avec des chariots tirés par des mulets ou des roulottes tirés par des bœufs. La conquête de l’Ouest était accomplie.

 

Koeppen prend le train. À peine quarante ans plus tard, le trafic ferroviaire du West Pacific Railroad était intense à Ogden. Des dizaines de trains y passaient tous les jours. Mais au début du printemps de 1908, des foules accoururent pour voir passer les quatre équipes de la Grande Course encore en lice: le 15 mars la Thomas Flyer américaine, le 21 la Züst italienne, le 26 la De Dion-Bouton française et finalement, le 3 avril, la Protos allemande. L’arrivée des quatre automobiles par la route, quasi inexistante encore, consistait, à l’époque, un évènement majeur et les intrépides automobilistes y furent accueillis comme des héros… Quand la De Dion-Bouton arriva à Ogden, les Italiens étaient à Cobre, dans le Nevada, alors que les Américains étaient déjà arrivés triomphalement à San Francisco, 2000 km plus loin! Seuls les Allemands se trouvaient encore dans le Wyoming, loin derrière les Français. À bord de la voiture française, qui semblait encore avoir toutes ces chances de rattraper l’équipe italienne, se trouvait un homme au visage émacié et aristocratique, ce qui correspondait bien à son nom: G. Bourcier Saint-Chaffray. Il était non seulement le chauffeur de la De Dion-Bouton, mais aussi “Commissaire Général” pour le journal “Le Matin” qui avait créé la course. Il avait lui-même conclu que ce vague titre lui conférait le droit de décider quelles règles s’appliqueraient à la compétition. Ceci allait avoir de lourdes conséquences…

En arrivant à Ogden, le lieutenant Koeppen et son coéquipier Snyder avaient déjà dû faire face à de graves problèmes techniques. Koeppen, fiévreux, se prend tout de même le temps de visiter Salt Lake City, au Sud d’Ogden, la capitale des Mormons avec son mystérieux Temple et le célèbre Tabernacle. Il en revient ravi et se remet en route vers l’Ouest. Au bout de 100 kilomètres, dans un bruit épouvantable, le différentiel de la Protos rend l’âme. Retour à Ogden. Alors que Snyder tente, tant bien que mal, de réparer la machine, Koeppen envoie un télégramme à la “New York Times”, demandant la permission de convoyer la voiture par le train à Seattle pour réparations et pour pouvoir y rejoindre les autres équipes. La réponse du “New York Times” est sans appel: «Utilisation du train entraînera disqualification.» Koeppen prend alors le train – sans son automobile – et rencontre Bourcier Saint-Chaffray dans l’hôtel Butler à Seattle. Ce dernier – “directeur sportif de la course” – assure Koeppen que l’utilisation du train est autorisée dans les nouvelles conditions de la course. L’équipe américaine revient en bateau de l’Alaska, où les pistes sont totalement impraticables, et le nouveau départ aura lieu depuis Vladivostok, le port oriental de l’Empire de Russie. La véritable compétition démarrera de là. Rassuré et discipliné, l’officier allemand retourne à Ogden. La Protos est mise sur un wagon de la Union Pacific et part vers Seattle dans la nuit.

 

“La Petite” poursuit sa route. Nous visitons, comme Koeppen, la ville de Salt Lake City. «Les habitants y parlent un langage codé», nous explique notre hôte, Bruce Hunter, qui nous accueille après avoir pris connaissance de l’aventure de “La Petite”. «D’après les réponses à certaines questions, votre interlocuteur saura si vous êtes membre de l’Église ou non.» L’Église, avec un “É” majuscule, est celle des Mormons. La ville, et l’état du Utah, appartiennent pour la grande majorité à cette secte bien singulière. Nous nous promenons. Une jeune femme s’approche de nous: «Avez-vous déjà entendu parler de l’Église de Jésus Christ des Saints du Dernier Jour?» Oui, on en a entendu parler. Non, nous ne sommes pas intéressés à devenir membre. Nous entassons nos volumineux bagages dans la minuscule voiture, et nous filons vers la ville de Wendover qui se trouve à la limite de deux états. Une sorte de Martelange style Wild West. D’un côté, dans l’Utah, Wendover la Mormone, sobre, sage et triste. De l’autre côté, dans le Nevada, Wendover la Païenne, avec ses néons, ses casinos, son clinquant. Nous n’aimons ni l’un, ni l’autre. Il est temps d’affronter le désert.

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