(7) – Moins quatre-vingt six, plus quarante-cinq

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Goldfield, ville minière datant du “gold rush” d’il y a un siècle, mais qui produit toujours de l’or, je tombe sur un petit musée avec les carcasses rouillées de quelques véhicules datant de la grande époque minière de la ville. Pendant que je les photographie, un homme vient me voir. Il a le visage tatoué.

Greg Enlund est mécanicien, et il s’intéresse, bien entendu, à “La Petite”. Je lui demande la signification de ses tatouages. Sur sa joue droite, “hillbilly” (l’équivalent américain de péquenot): «Parce que je vis à la campagne. Le caractère chinois sur ma joue gauche signifie “fou”, parce que les gens ont décidé que j’étais fou. Tant mieux, ça me vaut une pension d’État.» Voulant en savoir plus, Greg me raconte son histoire.

1.Greg-EnlundHéros. Il est né d’une mère mi-Indienne, mi-Galloise et d’un père Irlandais qu’il n’a jamais connu. Tout petit, il a été adopté par un homme d’origine suédoise qu’il considère comme son vrai père. Sa galère commence lorsqu’il est enrôlé pour la guerre du Vietnam. Dix-huit mois dans la jungle. La chaleur moite, les insectes, les sangsues, la maladie, le Viêt-Cong, la peur… Un copain blessé gravement. Pas de médicaments pour le soigner, ni calmer sa douleur. «Et pourtant, le type a serré les mâchoires et n’a pas pipé mot jusqu’à ce qu’on l’évacue par hélico. Un vrai héros!» Mais au retour, la société américaine n’a pas de place pour ces héros qui ont souffert, qui ont vu la mort de près. «À notre départ, on était fêté comme des patriotes. À notre retour, on nous crachait dessus. J’ai très mal vécu ça. J’ai pété un câble. Je suis devenu méchant. Et l’on m’a déclaré…» – il pointe sur le tatouage chinois. «En m’établissant ici, loin des villes, je me suis calmé. Je fais de la mécanique. Je parle peu aux gens.» Que pense-t-il de l’Irak, de l’Afghanistan? «C’est exactement la même chose. On y envoie de pauvres types. C’est de la politique. Si on avait voulu éliminer Saddam, si on avait voulu retrouver Ben Laden… Ils ne s’y prennent pas de façon très habile, hein?» Il me fait un sourire entendu. «Remarque, au moins, ils ont appris une chose depuis le Vietnam: les garçons qui reviennent sont traités de façon correcte, pas comme nous, qu’on traitait comme des voyous.» Un type sympa, ce Greg, et pas fou du tout. On se quitte sur une poignée de main ferme. Il s’en retourne à sa mécanique, nous reprenons la longue route. En fin de journée, nous arrivons à Beatty. Derrière les montagnes nous attend… la Vallée de la Mort.

 

20100812-5880Quarante-cinq degrés à l’ombre. On m’a dit que c’était de l’inconscience que de vouloir m’y rendre en plein mois d’août, surtout avec une petite voiture fragile, sans air conditionné, dont les vitres ne s’abaissent même pas… Quant à moi, je voudrais bien passer par là. D’abord parce que c’est un endroit fabuleux. Et parce que les trois équipes de la Grande Course sont passées par là. Ma folie est mesurée. Pour éviter la surchauffe du moteur, je peux mettre en route le chauffage de la 4CV. Ce sera bon pour le moteur, moins bon pour nous… Mais en cas de besoin, on peut ouvrir les deux portières “suicide” et les fixer avec des sandows. Il faudra boire un max. Tout dépend de la température. Dans notre motel, je me branche sur Internet et cherche la météo de la Vallée de la Mort, particulièrement propice pour les deux jours suivants. On prévoit des températures maximales de “seulement” 45°C (vers 15h) et minimales de 29°C (entre 3 et 6h du matin) Pour dimanche, 50°C! Ma décision est prise: on y va! “La Petite” attend dehors. Elle ne sait pas encore ce qui l’attend…

 

20100812-5842Sable. Debout à 5h. Une fois sur la route de Death Valley, un beau complexe de dunes attire le regard. Le sable et le soleil levant: tout ce qu’il faut pour de belles photos! On quitte la route principale pour emprunter la piste qui mène aux dunes. Puis un petit chemin qui devient rapidement de plus en plus sablonneux. Quelqu’un de plus intelligent se serait arrêté là… Je le pense, mais juste trop tard, et quand je vois le sable mou arriver, je donne un coup de volant pour rejoindre une piste parallèle. À ne jamais faire! Quelques secondes plus tard, nous voilà enlisés jusqu’au moteur. Avec nos bras pour seules pelles, on commence à dégager le sable. On vide la voiture. On met les tapis de désensablage sous les roues. Tapis rouge pour “La Petite”! Je revis les moments d’angoisse vécus dans le Gobi, il y a deux ans. Marie-Xavier pousse, je me mets au volant. La première tentative nous fait avancer d’un mètre. La deuxième est la bonne! On voulait l’aventure? On a été servi dès le matin tôt. Ce problème étant réglé, je pars à pied faire mes photos de dunes. Nous continuons vers Death Valley Junction. De là, la route descend dans la vallée. Un panneau nous avertit d’emblée du danger encouru: «Caution-extreme heat-danger». On ne plaisante pas avec la chaleur!

 

20100812-5973Chaos géologique. Sur un dénivelé de plusieurs centaines de mètres, nous traversons des paysages minéralogiques époustouflants. On passe de chaos géologique en délire volcanique. Au Visitors Center de Furnace Creek, nous payons nos droits d’entrée dans la fournaise (il fait déjà 41°C). Nous y demandons des renseignements. L’aimable Ranger: «Pour sortir de la vallée? Avec cette voiture? Pas question de le faire vers l’Ouest: la pente est trop raide. Le seul moyen, c’est par Death Valley Junction, puis de contourner le parc.» Rebrousser chemin? Je n’aime pas… Je décide de tenter le coup demain matin. On pourra toujours rebrousser chemin au besoin. On passe le temps près du Center, où plusieurs animaux sauvages viennent pour profiter des miettes laissées par les touristes. Parmi eux, des “roadrunner”, le célèbre bip-bip de la bande dessinée, et des écureuils-antilope qui grignotent les cosses tombées d’un arbre. L’après-midi passe. La température atteint les 45°C annoncés, témoin le thermomètre du Center.

 

2.BadwaterSel. Le soleil commence à descendre, pas la température… Entre 15h et 18h, elle ne descendra que de deux petits degrés… On veut tout de même voir le fond de la vallée. On s’y rend sur une route au goudron brûlant. À Badwater, notre GPS affiche une altitude (une profondeur?) de moins 86 mètres! On s’aventure sur la plaine de sel. La beauté du paysage minéralogique nous fait oublier la chaleur intense. Par contre, il ne faut pas oublier de boire… nos quatre litres par jour («Obligatoire!» nous a dit le Ranger). Et dire que c’est dans ces conditions que devaient travailler les exploitants du borax avec leurs lourds chariots tirés par vingt mulets! Retour à Furnace Creek. On refait le plein avant d’entamer la remontée vers l’Ouest. La chaleur est toujours intense. On atteint Stovepipe Wells. On nous avait dit que tout était complet, mais on essaye. En vain. La pente vers le camping du lieu-dit Emigrant est raide. L’aiguille de température grimpe vers le rouge. Dès que les 100°C fatals sont atteints (notre liquide de refroidissement ne bout qu’à 188°), on s’arrête plusieurs fois pour permettre à “La Petite” de reprendre son souffle. Je suis confiant, maintenant: si on est arrivé jusqu’ici par chaleur intense, on vaincra la pente plus raide (jusqu’à 9%) à la “fraîche” toute relative des 29°C annoncés pour demain matin tôt. Nous dressons notre tente dans le noir. Mais avant de nous coucher, nous admirons la pluie de météorites des Perséides. Une chaude journée, commencée avec le tapis rouge et qui se termine en feu d’artifice. Elle l’a bien mérité, notre formidable “Petite”!

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