(5) – Rocky Mountains

Pour aller à la page précédente, cliquer ici : (4) – Est-ce qu’Ames a une âme ?

“La Petite” a beau être de 1959, elle porte, accrochée à son minuscule pare-brise, une petite merveille du XXIe siècle : un GPS. Cet appareil, pas plus grand qu’une petite calculatrice, a en mémoire les cartes détaillées, avec tous les noms de toutes les rues, de toute l’Amérique du Nord et de toute l’Europe. En plus, il est capable de nous guider vers la pompe à essence la plus proche, ou le restaurant de notre choix. Il nous aide à traverser les grandes villes sans défaillir et peut le faire en une trentaine de langues, avec des voix masculines ou féminines. Pour l’Anglais, on a même le choix entre “American English” et “British English”… Nous avons fini par adopter la voix de Daniel, qui, avec son accent très Oxford, est donc devenu la troisième personne à bord de notre véhicule.

ProtosEastOfAmesAHSQuelle différence avec les conditions de 1908! Pour eux, peu de choix de routes – parfois il n’y en avait même pas – et pas de cartes détaillées. George Schuster naviguait à la boussole et au sextant, Hans Koeppen engagea un guide pour trouver un passage de la North Platte River dans le Wyoming, que nous avons franchi hier soir sur l’Interstate 80, une autoroute à six voies, dans un flot incessant de voitures, de camping cars et surtout d’énormes camions roulant à plus de 100 km/h. En 1908, les quatre équipes encore opérationnelles étaient quasiment les seuls à emprunter la route. Dans certaines villes, ils étaient rejoints par les quelques rares automobilistes du coin…

Obama et Clinton. Il est rare, pourtant, que nous empruntions une autoroute. “La Petite”, avec sa vitesse de croisière de 70 km/h, ne s’y sent pas à l’aise. En général nous suivons donc des tracés parallèles à la route des concurrents du New York-Paris, en faisant des détours pour faire un peu de tourisme. C’est ainsi que nous sommes arrivés dans le Colorado. À partir de Boulder, nous grimpons, sous la pluie, vers un village qui s’appelle… Nederland! Pour le Néerlandais que je suis, c’est spécial! J’avais bien repéré, sur la carte, un patelin qui s’appelle Luxembourg, à 200 km au nord de Milwaukee dans le Wisconsin. Mais j’avais jugé que le détour de deux jours n’en valait pas la peine… La pente vers Nederland est raide, jusqu’à 10%, et “La Petite” a du mal. Mais on y arrive. On franchit le cap des 4000 km parcourus depuis notre départ de New York. Le soir tombe. Il pleut toujours et il fait froid (nous nous trouvons à plus de 2500 m d’altitude). On cherche un motel. Le premier est complet. Le deuxième aussi. Ils le sont tous… Tant pis, on fera du camping alors! Mais les campings sont complets également… On est vendredi soir, et tout Boulder se rend en montagne pour le week-end, en plus des nombreux estivants. On redescend à Boulder. Descente nocturne par la route sinueuse. Le premier motel est complet, le deuxième également… Mais on finit par en trouver un. Ouf! Il n’est pas loin de minuit. Le globe-trotter est crevé.

ObamaLe lendemain matin, à peine reparti, au coin d’une intersection de deux grandes artères de circulation, un homme affiche un panneau avec ce message étonnant : “Obama est un communiste”. Et vive la liberté d’opinion et d’expression… Je vois mal, en France, quelqu’un avec un panneau en plein centre ville, qui dirait, par exemple, “Sarko est du Front National”, sans se faire embarquer tout de suite par les flics! Et puis, soudain, il retourne son panneau, et cette fois-ci le message est: “Clinton viole des filles”.

Qui est ce fou? On gare “La Petite”, et l’on va voir. Il s’appelle John Madden. Je veux savoir pourquoi il fait ça.

– Pour m’amuser ! Vous savez, ici c’est une ville libérale, mais faut voir les réactions de tous ces gens soi-disant bien-pensants ! J’observe, et je me fends la gueule !

Soit. Mais nous avons déjà rencontré beaucoup de personnes qui ne sont pas très heureuses de leur nouveau président. J’ai entendu les termes “idiot”, “gaspillage d’argent”, “erreur monumentale”. Les Américains semblent être moins épris d’Obama que nous, Européens…

 

20100731-4Records d’altitude. Nous reprenons la route de Nederland. Dans la pente à 10%, “La Petite”, surchargée, peine et le liquide de refroidissement arrive à ébullition. Je m’arrête immédiatement, pour remettre un peu d’eau, et attendre que la température redescende. Derrière Nederland, la route continue de monter, et bientôt nous franchissons un premier col, altitude 2859 mètres (on peut lire l’altitude avec une grande précision sur le GPS). En 2005, “La Petite” et moi avions franchi le col de la Bonnette qui, avec ses 2802 mètres, est le plus haut col d’Europe. Record battu ! Nous redescendons sur Black Hawk, ancienne ville minière, aujourd’hui une petite ville bourrée de casinos dans un style pur Western. Sur le parking, un homme vient nous voir.

– C’est une voiture hollandaise ?

– Non, elle est française.

– Pourtant, avec cette ligne-là, j’ai connu une voiture hollandaise qui s’appelle…

– Vous confondez. Vous pensez à la Coccinelle Volkswagen qui était allemande.

– Pourtant, je pensais qu’elle était hollandaise.

– Non, non, je vous jure, je suis Hollandais moi-même, je sais de quoi je parle…

À mon grand étonnement, l’homme s’adresse alors à moi en néerlandais. Il est originaire de Curaçao, dans les Antilles néerlandaises, une île que j’ai fréquentée plusieurs fois dans le cadre de mes recherches océanographiques. Je lui retourne la politesse en lui parlant en Papiamentu, la langue de Curaçao. On n’en revient pas tous les deux. Jerrell Krommie vit depuis vingt ans aux États-Unis, et nous présente sa femme, Catherine, originaire de Barcelone.

20100731-2Catherine nous demande si nous croyons en la prière. Je lui dis que non, mais que si elle veut faire une prière, cela ne fera certainement du mal à personne. Nous nous donnons la main tous les quatre, en plein milieu du parking. Catherine prie alors, à haute voix : «Seigneur, protégez “La Petite” et ses passagers. Faites qu’elle vienne à bon port et qu’elle puisse compléter son périple. Faites que ces voyageurs retrouvent leur famille en bonne santé. Amen». J’ai beau ne pas y croire, je suis ému malgré tout, et si le voyage se termine bien, Catherine y sera certainement pour quelque chose. Derrière la ville, Daniel, programmé pour nous faire éviter les autoroutes, nous fait emprunter un chemin de montagne, rappelant les conditions qu’ont dû rencontrer les pionniers de la course de 1908. C’est sur ce chemin rocailleux que “La Petite” bat un nouveau record d’altitude : 2866 mètres! La descente est encore plus terrible que la montée, avec une pente à 12%, qui met les freins à rude épreuve.

BertoudNous redescendons ainsi dans la vallée, puis prenons le chemin de Winter Park, célèbre station de sports d’hiver dans les Rocheuses. Pour y arriver, nous franchissons le col de Berthoud, haut de… 3451 mètres, établissant ainsi sans doute le record d’altitude absolu pour une 4CV. Sur le col, nous nous trouvons sur le “Continental Divide”, cette ligne de crêtes de la chaîne des Rocky Mountains, à partir de laquelle les fleuves se jettent vers l’Atlantique à l’Est, le Pacifique à l’Ouest. Nous sommes arrivés dans le domaine du Pacifique!

Pour aller à la page suivante, cliquer ici : (6) – Bactéries et chemin de fer